Par un arrêt du 8 janvier 2013 (n° 24/13 V), la Cour d’appel a donné des précisions sur l’élément constitutif de la publicité de l’injure délit sur les réseaux sociaux. Pour que l’infraction à l’article 448 du Code pénal soit donnée, il faut en effet qu’une des circonstances de publicité édictées par l’article 444 du même Code soit constituée.

Pour être punissables de peines délictuelles, les injures doivent avoir été proférées:

  • Soit dans des réunions ou lieux publics;
  • Soit en présence de plusieurs individus, dans un lieu non public, mais ouvert à un certain nombre de personnes ayant le droit de s’y assembler ou de le fréquenter;
  • Soit dans un lieu quelconque, en présence de la personne offensée et devant témoins;
  • Soit par des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes affichés, distribués ou communiqués au public par quelque moyen que ce soit, y compris par la voie d’un média, vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public;
  • Soit enfin par des écrits, des images ou des emblèmes non rendus publics, mais adressés ou communiqués par quelque moyen que ce soit, y compris par la voie d’un média, à
    plusieurs personnes.

En l’occurrence, une personne avait rédigé des messages injurieux (le caractère injurieux des propos rédigés a été reconnu par la Cour) sur le mur d’un de ses amis sur Facebook. La personne visée par ces messages en a eu connaissance et a cité l’auteur de ceux-ci devant le Tribunal correctionnel par voie de citation directe. L’auteur a argumenté que l’accès au mur de son ami aurait été exclusivement réservé aux amis de ce dernier, de sorte que les messages y publiés n’auraient pas été accessibles au public. Le groupe de personnes ayant eu un accès à ses messages pourrait être qualifié de communauté d’intérêts et le contenu échangé par ce groupe conserverait un caractère privé. L’élément constitutif de la publicité exigé par l’article 444 du Code pénal ne serait dès lors pas donné.

Les juges du premier degré avaient suivi cette argumentation, en retenant qu’

En l’espèce, A) reste en défaut de prouver que le paramétrage du compte FACEBOOK de B) ne limitait pas la diffusion des messages aux seuls « amis » de cette dernière mais qu’il était accessible à d’autres personnes que le destinataire choisi ou quelques amis choisis, et qu’il était partant public.

La Cour d’appel a réformé cet arrêt en procédant à une analyse détaillée des différents moyens de publication proposés par le réseau Facebook:

Facebook est un service de réseau social en ligne sur Internet qui permet à toute personne disposant d’une adresse email, de se constituer un compte, de créer son profil et d’y publier des informations, dont elle peut contrôler la visibilité par les autres personnes, possédant ou non un compte. Le mur sur FACEBOOK est l’endroit qui recense toutes les publications, que ce soit des textes, des photos, des vidéos ou des messages personnels. Ces éléments publiés sur le mur sont alors visibles par les personnes du choix de l’utilisateur selon un paramétrage choisi. L’utilisateur peut sélectionner l’audience de son mur et choisir les personnes avec lesquelles les publications sur le mur peuvent être partagées sur quatre niveaux, en l’occurrence le niveau « public », le niveau « amis », le niveau « moi uniquement » ou le niveau « personnaliser » comprenant des groupes spécifiques, des clients, des listes d’amis que l’utilisateur a choisi d’inclure ou d’exclure. Si l’on effectue une publication sur le mur d’un autre utilisateur, c’est cette personne qui contrôle la diffusion de la publication (Réseau FACEBOOK, pages d’aide de Facebook, confidentialité).

Même si le mur sur FACEBOOK, par un paramétrage spécifique, ou d’autres zones sur FACEBOOK, telle p.ex. la messagerie électronique, peuvent constituer des sphères privées, cela n’exclut pas que la circonstance de l’alinéa 6 de l’article 444 du code pénal puisse être donnée, lorsque des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes affichés sont, par la voie du réseautage FACEBOOK, distribués ou communiqués à plusieurs personnes.

En analysant comment les moyens de communication proposés par Facebook ont été concrètement mis en oeuvre par la citée directe, la Cour vient à la conclusion que les messages injurieux avaient bien été adressés ou communiqués à plusieurs personnes (hypothèse visée par l’article 444, alinéa 6 du Code pénal):

Or, si le paramétrage du mur de C) n’est certes pas connu, il ressort des pièces versées par la citée directe B) qu’il y a eu un partage des messages exprimés sur ce mur, un certain nombre de personnes ayant échangé des commentaires sur l’article publié par A) (…).

(…)

En mettant ses messages-commentaires sur le mur de C), B) avait conscience qu’elle s’exposait à ce que son message soit lu par les amis de C), amis qu’elle n’a pas choisis, ou que même tout autre individu puisse accéder à ces commentaires, de sorte que la condition de la communication à plusieurs personnes de l’alinéa 6 de l’article 444 du code pénal est remplie en ce que des écrits non rendus publics sont adressés ou communiqués par la voie d’Internet à plusieurs personnes, les échanges écrits étant susceptibles d’être lus par plusieurs personnes qui ne constituaient pas nécessairement une communauté d’intérêts. B) ne pouvait d’ailleurs ignorer le fonctionnement du site et la faculté de s’entretenir en privé avec C) ou d’autres amis.

Les propos de B) au sujet de A), qui constituent des injures de par les expressions méchantes utilisées et démontrent ainsi l’intention de son auteur de porter atteinte à l’honneur de la personne visée, tombent sous l’application de l’article 448 du code pénal.

Nous tenons également à signaler un jugement du Tribunal d’arrondissement de Diekirch du 29 mars 2012 (n° 312/2012) qui s’est basé sur le nombre important d’amis de l’auteur d’un message injurieux pour conclure que celui-ci a été communiqué à plusieurs personnes au sens de l’article 444, alinéa 6 du Code pénal:

En ce qui concerne la condition de publicité, pour que celle-ci soit remplie, il faut que l’injure ait connu une publicité provoquée par son auteur selon un des modes limitativement énumérés par l’article 444 du Code pénal.

Le cinquième mode de publicité énuméré par cet article est le suivant : « par des écrits, des images ou des emblèmes non rendus publics, mais adressés ou communiqués par quelque moyen que ce soit, y compris par la voie d’un média, à plusieurs personnes. »

Ce cinquième mode de publicité ne requiert donc pas que les écrits injurieux soient rendus publics, mais il suffit qu’ils soient adressés ou communiqués par quelque moyen que ce soit, donc également par internet, à plusieurs personnes.

Le commentaire injurieux a été publié par A) sur son profil Facebook, c’est-à-dire un réseau social virtuel dont l’un des buts premiers est de partager des informations, avis, commentaires avec d’autres personnes.

L’inscription à ce réseau social est aisée et ouverte à toute personne ayant une adresse électronique.

En l’espèce, il ressort du dossier répressif que A) avait 628 personnes enregistrées comme étant ses amis sur Facebook au moment des faits. Il n’est pas contesté par A) que toutes les personnes enregistrées comme étant ses amis sur Facebook, c’est-à-dire le nombre non négligeable de 628 personnes, avaient effectivement accès aux commentaires publiés par lui sur son profil.

Les 628 personnes ont donc pu se rendre sur son profil et y lire le commentaire le temps qu’il s’y trouvait, ce qui constitue d’ores et déjà une communication au sens du cinquième mode de publication de l’article 444 du Code pénal. Au surplus, la conception du réseau social virtuel Facebook est telle que les 628 personnes ont également automatiquement dû recevoir un message sur leur propre profil leur indiquant que A) venait de publier le commentaire en question sur le sien sans qu’elles ne soient obligées à cet effet de consulter le profil de ce dernier.

Dès lors, même si le commentaire injurieux laissé sur son profil n’a été communiqué qu’à ce cercle de personnes, leur nombre et le mode de communication remplissent à suffisance les critères du cinquième mode de publicité listé à l’article 444 du Code pénal.

Le fait qu’il était possible à A) de restreindre l’accès à son profil aux seuls amis acceptés par lui sur Facebook est indifférent à cet égard au vu des termes de l’article 444 du Code pénal dont le cinquième mode de publicité n’exige pas la communication à un public en tant que tel mais simplement à plusieurs personnes.

Les analyses de la Cour d’appel et du Tribunal d’arrondissement de Diekirch illustrent le partage de messages sur les réseaux sociaux. En fonction des critères de confidentialités choisis par l’auteur d’un message, la communauté du réseau concourt à la propagation de celui-ci. Ainsi, en commentant ou en signalant un message par les fameux « Like », les membres du réseau peuvent rendre le message originaire, avec les commentaires et « Like », accessible à leur communauté.

Un autre facteur qui concourt à la publicité des messages postés sur les réseaux sociaux est le nombre généralement important de connaissances (les « amis » sur Facebook) dont disposent les différents membres. La notion d’ « ami » prend en effet une signification très large sur les réseaux, de sorte qu’il est fréquent de rencontrer des profils qui comptent plusieurs centaines d’ « amis ». Un message publié sur son propre mur ou sur celui d’un « ami » qui compte des centaines d’ « amis » connaît dès lors – par la force des choses – d’une publicité très importante.

Nous tenons à souligner que la grande publicité attachée aux messages postés sur les réseaux sociaux peut non seulement poser des problèmes au niveau pénal, mais également en matière de droit du travail. Des propos non mesurés trouvent en effet, de plus en plus souvent, leur chemin vers l’employeur (voir notamment: K. ROSIER: Réflexions sur le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression sur Facebook dans le cadre des relations de travail, RDTI n° 46 – 1/2012, p. 90).

Il y a lieu de préciser que l’arrêt de la Cour d’appel du 8 janvier 2013 (n° 24/13 V) peut encore faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

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